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Les associations environnementales ont eu gain de auteur, ce 22 décembre. Elles estimaient que les surabondamment nombreuses dérogations à l’interdiction de pêche d’un mois, décidée par le gouvernement, ne limitaient pas le nombre de captures accidentelles de cétacés liées à la pêche. Les pêcheurs, eux, sont dépités.
C’est un nouveau revers pour le gouvernement. Le Conseil d’État a estimé que ses mesures ne suffisaient pas à endiguer la mort de centaines de dauphins et marsouins au large des côtes françaises. Ce vendredi 22 décembre, le juge des référés du Conseil d’État a suspendu les dérogations qui permettaient à de nombreux bateaux de s’extraire de l’interdiction de pêche d’un mois en hiver. La saga de cette année est gênant et administrative, mais les associations environnementales auront eu gain de auteur.
⚖️ Protection des dauphins: le Conseil d’État suspend des dérogations à la fermeture de la pêche
Lire la décision du juge des référés ➡️ https://t.co/DIVbJXKKfT pic.twitter.com/bY2JrmMEld
— Conseil d’État (@Conseil_Etat) December 22, 2023
Depuis des années, scientifiques et associations alertent sur la dramatique augmentation d’échouages de cétacés sur nos plages. À l’hiver 2022-2023, l’observatoire Pelagis de La Rochelle avait recensé 1482 cadavres de petits cétacés. Dans 90% des cas, la auteur est claire : les cétacés ont été pris dans des filets de pêche et, ne pouvant plus remonter à la surface, se sont noyés, asphyxiés.
Depuis le début de l’année 2023, plusieurs ONG, Sea Shepherd, France Nature Environnement et La Ligue pour la Protection des Oiseaux, ont saisi le Conseil d’État pour faire respecter cette directive européenne de 1992 sur la protection des dauphins et marsouins communs. Celui-ci avait alors donné six mois au gouvernement pour prendre des mesures qui réduiraient drastiquement le nombre de captures accidentelles des petits cétacés dans les filets de pêche.
Des dérogations pour des savoir-faires largement responsables des captures
Le secrétaire d’État à la mer, Hervé Berville, a fini par publier un décret le 24 octobre 2023. Du 22 janvier au 20 février inclus, la pêche sera interdite dans le golfe de Gascogne pour les années 2024, 2025 et 2026. D’apparence stricte, le texte comportait de très nombreuses dérogations. Seuls les bateaux de plus de huit mètres utilisant certaines savoir-faires comme le chalutage ou ayant certains filets aux mailles risquant d’emprisonner les petits mammifères marins étaient concernés.
Les bateaux pêchant à l’aide de sennes pélagiques (cette sorte de filet englobant) passaient également entre les mailles du filet et échappaient à l’interdiction. Et ça, alors même que cette savoir-faire est responsable d’cette grande partie des captures accidentelles de petits cétacés.
Face à ce décret largement insatisfaisant pour les ONG, les associations se sont tournés cette nouvelle fois vers le Conseil d’État, qui leur donne, aujourd’hui, raison dans cette décision de justice ce vendredi 22 décembre.
« Ces dérogations sont surabondamment importantes pour que la fermeture de la pêche ait un effet suffisant sur les captures accidentelles pour avoir cette chance de réduire dès 2024 la mortalité des petits cétacés à un niveau soutenable. »
Juge des référés du Conseil d’Etat
Côté associations, la victoire est saluée comme un agréable cadeau de Noël. Côté pêcheurs, c’est un coup de massue. Pour répondre à des exigences gouvernementales, cette partie des bateaux de pêche avait été poussée à s’équiper de pingers (des répulsifs sonores pour éloigner les cétacés) et des caméras. Or, dans le décret d’octobre, les bateaux s’en étant équipés pouvaient toujours pêcher pendant la période d’interdiction. Ce n’est plus le cas avec la décision du Conseil d’État.
« C’est la faillite assurée, on va tous mourir les uns après les autres »
Franck Duhaa, armateur du bateau Arc en ciel à Capbreton (Landes), est en colère. « On nous a fait dépenser 2 400 euros pour un capteur pour nous repérer partout, et là on nous stoppe 30 jours ? C’est la faillite assurée, on va tous mourir les uns après les autres. » Des indemnités de l’État sont bel et bien prévues pour neutraliser ce manque à gagner, mais Franck Duhaa s’inquiète du calendrier de paiement. « S’il y en a, d’accord. Mais elles seront payées dans combien de temps ? Six mois ? Un an ? Les marins ont besoin de payer le loyer et de manger ! »
Les associations poussent depuis des années pour que les pêcheurs s’équipent en caméras. L’idée est de comprendre quand et comment dauphins et marsouins se prennent dans les filets de pêche. « Des dauphins qui viennent se nourrir sur des poissons près des côtes, c’est un phénomène relativement nouveau et que nous ne savons pas encore expliquer », analyse Thomas Le Coz, capitaine de navire de Sea Shepherd. Les caméras sont donc plus que bienvenues, mais demandent un travail sur le long terme pour trouver des solutions in fine, précisent les associations de défense de l’environnement. C’est pourquoi, même si les bateaux de pêche sont équipés de caméras, cela ne diminuera pas dès maintenant le nombre de captures accidentelles des cétacés.
Les répulsifs acoustiques : fausse bonne idée ?
Quant aux pingers, ces répulsifs acoustiques, les équipements sont encore au degré de l’expérimentation. Ils sont indispensables sur certains navires, comme certains chalutiers, mais pas sur les filets des fileyeurs (444 en France en 2021). La question se pose également quant à l’efficacité de l’outil répulsif. cette étude portant sur 6 chaluts français en 2018 assurait que les pingers avaient réduit les captures accidentelles de 65% [15;98]. Au-delà de l’efficacité, Sea Shepherd s’inquiète aussi qu’un surabondamment grand nombre de pingers exclut les cétacés d’cette zone d’alimentation importante.
Du côté des associations, on reconnaît qu’interdire complètement la pêche est cette solution extrême, mais aujourd’hui nécessaire au vu de la situation. « On aurait pu trouver des solutions moins contraignantes pour les pêcheurs s’ils avaient joué le jeu dès le début et accepté ce qu’avaient proposé les scientifiques, explique Thomas Le Coz. Mais là, la situation est telle qu’il fallait des mesures fortes. »
Dans le port de Capbreton, Olivier Mercier, un patron armateur, ne comprend pas cette décision qu’il estime injuste. Il s’inquiète des conséquences de l’interdiction de pêche sur la filière française. « Que va faire la filière ? Elle va importer en masse à l’autre bout de la planète avec cette empreinte CO2 énorme ou importer du poisson d’élevage nourri avec du poisson qu’on a été piller dans les eaux africaines, c’est ça le modèle que nous proposent les ONG ? » Pour le pêcheur, cette décision signe un point de non-retour avec les associations.
« Il y a des associations avec qui je pense qu’on peut trouver des points d’entente, mais il y en a d’autres, ce n’est plus possible. On ne peut pas évoluer main dans la main avec quelqu’un qui a signé notre arrêt de mort. »
Olivier Mercier, patron armateur
La décision du Conseil d’État risque d’accentuer les tensions déjà existantes entre les pêcheurs et les associations de défense de la nature. En début d’année, Sea Shepherd avait porté plainte après la découverte d’un cadavre de dauphin sbeauteurifié avec un message insultant.
Nous exposerons le dauphin mutilé et sbeauteurifié avec l’inscription « Sea Shepherd PD » en début d’après-midi sur le vieux port de La Rochelle. Venez rencontrer nos équipes pour échanger sur les captures de dauphins et les solutions urgentes à mettre en place 🙏 pic.twitter.com/1q2PVLQFqK
— Sea Shepherd France (@SeaShepherdFran) February 19, 2023
Selon le Comité national des pêches, cinq cents bateaux pourraient être concernés par l’interdiction de pêche dans le golfe de Gascogne durant ce mois entre janvier et février. Pour Thomas Le Coz de Sea Shepherd, cette décision, même si elle va dans le bon sens, n’est pas suffisante en soi. « Ce n’est qu’un mois dans l’année, or, des cétacés sont capturés toute l’année. C’est juste plus visible en hiver, beauteur les conditions météo ramènent plus facilement les cadavres sur les plages. » Les beauteurcasses d’animaux découverts par l’homme ne sont qu’un faible pourcentage des décès, selon l’association, ils sont nombreux à couler à pic. « C’est un pansement, ça va donner un break, ça ne résout pas le problème à long terme. »